Projet d’arrêté fixant les plafonds départementaux dans les limites desquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant les grands cormorans (Phalacrocorax carbo sinensis) pour la période 2022-2025
Consultation du 25/07/2022 au 15/08/2022 - 2385 contributions
Contexte
Le Grand Cormoran est un oiseau protégé au niveau européen : au-delà de la protection nationale, il bénéficie du régime général de la protection de toutes les espèces d’oiseaux visées à l’article 1er de la Directive 2009/147/CE du 30 novembre 2009 relative à la conservation des oiseaux sauvages. Toutefois, afin de contrôler l’impact du grand cormoran sur les espèces de poissons protégées dans les cours d’eau et plans d’eau et sur les piscicultures en étang, un système dérogatoire à la protection stricte permet de mener des opérations de destruction si les conditions de la dérogation sont réunies. Ces dérogations ne visent pas à réguler l’espèce mais à réduire la prédation dans des zones déterminées.
L’arrêté ministériel cadre du 26 novembre 2010 (en annexe) fixe ainsi les conditions et limites dans lesquelles les dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées. Il est complété par un arrêté pris tous les 3 ans, qui fixe les plafonds départementaux dans les limites desquelles les dérogations peuvent être accordées. L’arrêté en vigueur pour la période 2019-2022 est celui du 27 août 2019. Il est lui-même décliné en arrêtés préfectoraux annuels ou triennaux qui doivent définir les personnes habilitées, les périodes, les zones de tir autorisées, en justifiant des dommages et de l’impact du grand cormoran sur les piscicultures d’une part et les cours d’eau et plans d’eau d’autre part, ainsi que de la mise en œuvre de solutions alternatives.
Choix opérés s’agissant de la définition des plafonds
Afin de préparer l’élaboration du prochain arrêté triennal et d’étudier les pistes d’évolution des plafonds, le Groupe National Cormorans (GNC), composé de l’ensemble des acteurs concernés (représentants des pisciculteurs et pêcheurs, associations de protection de la nature, experts, administration) a été réuni à 2 reprises (les 20 mai et 15 juin 2022). Dans le même temps, l’ensemble des DDT(M) a été consulté par mail (production d’un dossier de demande de plafonds) : les réponses montrent que la plupart du temps, les partenaires ont été consultés localement, afin de proposer des plafonds.
A) Le cas des cours d’eau et plans d’eau
Compte tenu des nombreux recours contentieux formés à des fins d’annulation des arrêtés préfectoraux pris sur les cours d’eau et plans d’eau, tous perdus par l’État (15 ont été jugés depuis 2019 et environ 5 sont en cours), la méthodologie d’attribution des plafonds départementaux pour le prochain arrêté triennal a été révisée. En effet, il ressort des contentieux jugés par les différents tribunaux administratifs que les justifications nécessaires à l’octroi des dérogations (liste d’espèces de poissons menacées dans le département, assortie de données sur l’état de conservation des espèces de poisson impactées, délimitation des lieux exacts où les tirs sont autorisés, démonstration de l’inefficacité des mesures mises en place au préalable) ne sont généralement pas suffisantes dans les arrêtés préfectoraux. Les données relatives aux espèces protégées sont en effet mal connues et ne suffisent généralement pas à justifier les destructions de l’espèce Grand Cormoran.
Aussi, au terme de la période de consultation préalable à l’élaboration du projet d’arrêté, face au constat de la grande difficulté à justifier de la nécessité d’octroi de dérogations sur les cours d’eau et plans d’eau, il a été décidé de ne pas établir dans le projet d’arrêté de plafonds pour les cours d’eau et plans d’eau (seuls sont accordés des plafonds pour la prévention des dommages aux piscicultures). En effet, en l’état, les éléments disponibles ne permettent pas de remplir les conditions nécessaires pour définir des plafonds sur les cours d’eau et plans d’eau. Le cas échéant, si des études étaient produites localement et démontraient l’impact de l’espèce sur l’état de conservation des espèces de poissons protégées et/ou menacées, l’arrêté à paraître pourrait être complété ultérieurement, dans la période triennale, afin de mettre en place des plafonds sur les cours d’eau et plans d’eau concernés dans les départements.
B) Le cas des piscicultures
En piscicultures, la méthodologie ayant permis la définition des plafonds pour l’arrêté triennal 2019/2022 a été appliquée. Les plafonds proposés dans le projet d’arrêté sont fondés sur le croisement des données suivantes : l’évolution de la population (à partir des rapports des recensements coordonnés par M. Loïc Marion, en annexes), le bilan des tirs, et la demande formulée et justifiée par les services. L’utilisation de cette méthodologie est justifiée par les termes de l’arrêté du 26 novembre 2010 qui prévoit la prévention des dommages aux piscicultures. Il est par ailleurs en plein accord avec le plan aquaculture et notamment son volet 4.5 qui traite du sujet de la prédation en pisciculture.
C) Le cas de la sous-espèce carbo carbo
Dans les départements normands et bretons, est présente la sous-espèce Phalacrocorax carbo carbo (distincte de carbo sinensis), qui est strictement protégée. Dans la mesure où les deux sous-espèces ne peuvent se distinguer à l’œil nu, et où la sous-espèce carbo carbo, côtière, s’aventure cependant dans les terres, les destructions de Grands Cormorans, même en dehors des seules zones côtières normandes et bretonnes, sont problématiques et font également l’objet de contentieux. Aussi, en complément de la suppression des plafonds hors piscicultures dans l’ensemble des départements métropolitains, aucun plafond n’est maintenu en pisciculture pour les départements bretons et normands, pour éviter tout risque de destruction de la sous-espèce.
Présentation du projet d’arrêté
Le projet d’arrêté ministériel (figurant en annexe), à l’instar des 2 précédents, est triennal. Il s’agit d’un arrêté cadre qui doit être décliné localement par les préfets pour mise en œuvre. Le terme « quotas » antérieurement utilisé a été remplacé par « plafonds » afin de mieux signifier que le nombre de grands cormorans autorisés à la destruction est un maximum et non un objectif à atteindre.
L’article 1 précise l’objet de l’arrêté. Il rappelle que seule la sous-espèce sinensis est concernée. Il définit la période d’application (2022/2025, soit 3 saisons).
L’article 2 indique les personnes chargées de l’exécution du présent arrêté. En dehors du Ministère de la Transition Ecologique et de la Cohésion des Territoires (MTECT) et du Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire (MASA), sont listés les préfets et l’Office français de la biodiversité (en raison de son rôle dans la mise en œuvre des campagnes de destruction).
L’annexe présente les plafonds définis annuellement par département pour les piscicultures, ainsi que leur somme au terme des 3 années. Ce sont 58 départements qui sont concernés. Pour chaque année de la période 2022/2025, le plafond proposé d’individus autorisés à la destruction est le suivant : 27 892 (soit 83 676 grands cormorans sur l’ensemble de la période triennale).
A noter que la version du projet d’arrêté soumise à la consultation du public diffère de celle présentée au CNPN en 2 points :
- La mise en forme a été modifiée : seuls sont présentés les plafonds départementaux relatifs aux piscicultures (ainsi que leur total au terme des 3 années). Les mentions de plafonds en cours d’eau et plans d’eau ont ainsi été retirées du projet de texte, ces plafonds étaient tous nuls ;
- Une erreur a été corrigée s’agissant du plafond accordé au département des Vosges (100 cormorans autorisés à la destruction annuellement et non 60), entraînant par conséquent une modification des totaux.
Consultations obligatoires :
• Le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) a été consulté le 5 juillet et s’est prononcé favorablement (avis joint).
• La consultation du public est ouverte du 25 juillet au 15 août 2022. En application du dernier alinéa du II. de l’article L.123-19-1 du code de l’environnement, les observations du public pour cette consultation sont rendues accessibles au fur et à mesure de leur réception. Elles pourront faire l’objet d’une modération a posteriori en cas d’avis jugés hors de propos (injurieux, haineux…).
Pièces jointes :
- le projet d’arrêté fixant les plafonds départementaux dans les limites desquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant les grands cormorans (Phalacrocorax carbo sinensis) pour la période 2022/2025 ;
- l’avis du CNPN en date du 5 juillet portant sur le projet d’arrêté triennal 2022/2025 ;
- le rapport « Recensement national des grands cormorans nicheurs en France en 2021 - complété mars 2022 » ;
- le rapport « Recensement national des grands cormorans hivernant en France durant l’hiver 2020-2021 – rapport final, bilan corrigé au 28 février 2022 » ;
- l’arrêté du 26 novembre 2010 fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant les grands cormorans (Phalacrocorax carbo sinensis).
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Commentaires
- impacte de l’espèce sur les populations de poissons et leurs milieux très largement sous-estimé.
- l’état général de nos milieux aquatiques et la consommation en poissons de la population de cormorans devrait justifier,à elle seul une régulation massive de cet oiseau.
- gros doutes sur le caractère endémique de l’espèce grand cormoran, SINENSIS : la Chine est très loin à l’ESt
- exemple de l’ombre commun, présent depuis la dernière glaciation.Avec une régulation efficace des cormorans, une population d’ombres normale en 3 ans. Puis un hiver sans régulation résultat : plus d’ombres
La proposition de suppression des tirs de régulation des grands cormorans en eaux libres est justifiée par le Conseil National de la Protection de la Nature (CNPN), par le fait que ces oiseaux consomment avant tout des poissons communs qui sont abondants (cyprinidés), voire allochtones (perche-soleil, poissons-chats). C’est une vision sans nuance qui ne tient pas compte de la variété et de l’état des populations piscicoles et de leur état de conservation, qui peuvent fortement varier suivant les régions et le type de rivières.
Ainsi, sur toutes les rivières de première (1e) catégorie, le régime alimentaire du grand cormoran n’est pas constitué de poissons communs, mais essentiellement de salmonidés (truites et saumons) ou d’ombres communs, qui figurent tous sur la liste rouge des espèces menacées en France.
En outre, sur une majorité de ces rivières, leur populations de poissons sont constituées de souches autochtones maintenues grâce une gestion patrimoniale mise en place depuis plus d’une décennie et non par l’introduction artificielle de poissons de piscicultures, comme il est régulièrement avancé par les opposants à la régulation du cormoran.
Il est par ailleurs inexact d’affirmer comme le fait le CNPN que l’impact de ces oiseaux sur des espèces de poissons menacées n’a jamais été argumenté, ni démontré.
Dans le cadre d’une méta analyse de chercheurs scandinaves (Ovegård, Maria K. ; Jepsen, Niels ; Nord, Mikaela Bergenius ; Petersson, Erik. Cormorant predation effects on fish populations : A global meta-analysis. Fish and Fisheries, 2021). il a été mis en évidence dans une étude danoise que les taux de prédations par les cormorans sont particulièrement importants sur la truite et l’ombre commun, de l’ordre respectivement de 30% et 70%. Ces deux espèces étant ainsi de loin les plus vulnérables.
De plus, la présence massive du cormoran, coïncide avec les périodes de reproduction de ces 2 espèces, notamment la truite, qui sont particulièrement exposées et vulnérables durant cette période, ce qui outre la prédation, engendre du stress contrariant les accouplements et des blessures favorisant le développement de maladies.
D’autres études existantes à grande échelle, ainsi que la connaissance de la physiologie du grand cormoran prouvent déjà l’impact important de leur prédation. La demande d’études complémentaires locales ne visent qu’à contourner ces connaissances, pour mettre les associations locales en difficulté devant le caractère disproportionné des moyens humains et financiers nécessaires à la mise en œuvre de ces études.
Aucune mesure d’effarouchement efficace ne peut être mise en place à grande échelle pour la protection des poissons en eaux libres. Les tirs de régulation du cormoran restent pour l’instant la seule alternative possible en accord avec son statut d’espèce protégée, mais régulable, au niveau européen.
Le CNPN avance également que les tirs de régulation ne sont pas corrélés à l’évolution des effectifs, de cormorans, donc qu’ils seraient inefficaces et sans aucun impact sur les populations de poissons. Mais il est rappelé en préambule du projet d’arrêté, que les dérogation de destruction ne visent pas à réguler l’espèce mais à réduire la prédation dans des zones déterminées. Il serait donc tout aussi bien possible de conclure que les tirs de régulation sont insuffisants compte tenu de la croissance active des populations de grand cormoran.
Quant à l’argument du caractère inefficace et non démontrée des tirs de régulation sur la prédation des cormorans, il paraît assez absurde dans la mesure où un oiseau mort n’exerce plus de prédation. En réalité, cette régulation a bel et bien une utilité et toutes les AAPPMA demandent à minima le maintien des quotas de régulation actuels.
En outre, il y a une contradiction assez choquante dans la proposition de conserver les tirs de régulation pour la filière de pisciculture professionnelle en étangs, au nom de la valeur commerciale des poissons, en admettant ainsi implicitement la prédation excessive du cormoran, tout en supprimant totalement les tirs en eaux libres et plans d’eaux non destinés à la pisciculture, en niant toute valeur environnementale et patrimoniale des poissons de nos rivières et étangs.
Le grand cormoran n’est pas une espèce autochtone. Ses populations sont en croissance très active et constante comme le rappelle le CNPN et ne sont pas menacées car elles n’ont quasiment pas de prédateurs, ce qui n’est pas le cas des populations de salmonidés et ombres communs.
Cette suppression des tirs va ainsi protéger uns espèce en expansion et non menacée, au détriment d’autres espèces piscicoles vulnérables et gravement menacées.
Car sur beaucoup de rivières, d’autres facteurs (eutrophisation, pollutions, crues ou sécheresses…) contribuent effectivement au déclin des populations piscicoles. Mais ce n’est pas parce qu’ils existent d’autre causes à ce déclin, qu’il faut totalement ignorer l’aggravation constituée par la prolifération des cormorans.
Enfin, les épisodes de canicules et de sécheresse exceptionnelle de cette année, constituent une catastrophe écologique qui décime actuellement une grande partie des écosystèmes aquatiques et particulièrement les populations des cours d’eaux de 1e catégorie, qui dans ce contexte ne supporteront pas sans régulation la pression supplémentaire de la prédation du cormoran.
J’émets donc un AVIS DEFAVORABLE au projet d’arrêté, car il est impératif de maintenir des quotas de tirs en eaux libres, permettant de réduire la prédation du cormoran sur toutes les rivières à peuplement majoritaire de salmonidés et d’ombres communs.