Demande de dérogation à la réglementation relative aux espèces protégées, déposée par l’Office national des forêts
Consultation du 23/10/2025 au 07/11/2025 - 51 contributions
La réglementation relative à la protection des espèces, relevant de l’article L. 411-1 du code de l’environnement, prévoit la possibilité de dérogations dont les principes et les conditions d’octroi sont définis au 4° de l’article L. 411-2.
Dans la majorité des cas, les dérogations sont délivrées par les préfets de département. Toutefois, en application de l’article R. 411-7 du code de l’environnement, lorsqu’elles concernent des opérations à des fins de recherche et d’éducation conduites sur le territoire de plus de dix départements par des personnes morales placées sous la tutelle ou le contrôle de l’État, les dérogations sont accordées par le ministre chargé de la protection de la nature.
L’Office national des forêts (ONF) relève de cette catégorie. L’ONF est un établissement public à caractère industriel et commercial, dont la vocation principale est la gestion durable des forêts relevant du régime forestier (articles L. 121-1 et suivants, L. 211-1 et L. 211-2 et L. 221-1 et suivants du code forestier).
La gestion des forêts publiques constitue un levier de la politique nationale en faveur de la forêt et de la filière bois. Aux fonctions économiques qui leur sont assignées, s’ajoutent d’autres enjeux d’intérêt général, tels que la prévention des risques naturels ou la préservation et la connaissance de la biodiversité. Ce dernier enjeu comporte divers volets, entre autres la prise en compte de la biodiversité dans la gestion courante des forêts ou encore la gestion de la biodiversité remarquable.
Pour atteindre ces objectifs, l’ONF conduit diverses actions : réalisation d’inventaires et de suivis de la biodiversité par les réseaux de compétences naturalistes de l’ONF (suivi du réseau des réserves biologiques, participation au réseau Natura 2000). Ces réseaux visent en outre à étudier la réaction des différents organismes vivants à la gestion forestière et à présent au changement climatique.
L’ONF participe aux plans nationaux d’action conduits en faveur d’espèces menacées, aux plans de lutte contre les espèces exotiques envahissantes, au suivi de l’impact de la gestion forestière sur la biodiversité, à la surveillance de la biodiversité.
L’ONF met en œuvre l’inventaire pré-aménagement sur les forêts dont les enjeux de maintien de la biodiversité sont particulièrement mis en avant. Il participe aux suivis et observatoires de biodiversité à travers différents programmes.
C’est dans ce contexte que s’inscrit la présente demande de dérogation à la réglementation relative aux espèces protégées de l’ONF en vue, à titre principal, de procéder ou faire procéder à la capture avec relâcher immédiat sur place de spécimens d’espèces protégées, à des fins d’identification, de connaissances et d’études scientifiques. Pour certaines espèces, le relâcher sera réalisé de manière différée.
Les opérations de capture prévues peuvent entre autres donner lieu à des opérations de marquage de spécimens et de prélèvements d’échantillons de matériel biologique.
Cette demande de dérogation porte sur les groupes d’espèces suivants : mammifères, oiseaux, reptiles, amphibiens, insectes et mollusques. En ce qui concerne les insectes, des captures définitives sont la plupart du temps prévues, ainsi que leur transport à des fins d’identification.
Cette demande de dérogation porte sur la période 2026-2030 et le territoire de la France métropolitaine et des départements d’outre-mer. Il s’agit d’une demande de renouvellement puisque l’ONF a déjà bénéficié ces dernières années de dérogations à la protection stricte des espèces.
La dérogation ne peut être accordée à l’ONF que dans le respect de certaines conditions, en particulier que si les opérations conduites ne nuisent pas à l’état de conservation des populations concernées.
L’ONF a transmis sa demande en septembre 2025. La demande comprend notamment la lettre de demande, un document de synthèse accompagné d’un document Cerfa n° 11631*01 renseigné, diverses pièces portant bilan et description des missions, réseaux et programmes engagés, ainsi que la précédente dérogation à la protection stricte des espèces dont a bénéficié l’ONF pour la période 2021-2025.
La demande de dérogation, accompagnée des pièces précitées, est soumise à la procédure de consultation du public préalablement à la décision ministérielle qui sera rendue à son sujet.
Commentaires
Cadre juridique et principes applicables
L’article L411-1 du Code de l’environnement établit que les espèces protégées doivent faire l’objet d’une protection stricte, et l’article L411-2 fixe les conditions dans lesquelles une dérogation peut être accordée, notamment la nécessité stricte, l’absence d’alternative et le fait de ne pas nuire à l’état de conservation.
Le principe de précaution, consacré par la Charte de l’Environnement (article 5) et le principe de non-régression (article L110-1 du Code de l’environnement), impose que toute dérogation ne puisse affaiblir les dispositifs de protection de la biodiversité.
Le dossier présenté par l’ONF indique qu’une dérogation nationale serait demandée pour les années 2026 à 2030, couvrant les mammifères, oiseaux, reptiles, amphibiens, insectes et mollusques, avec pour ces derniers des captures définitives et un transport à des fins d’identification.
Une telle portée, à la fois nationale et multi-taxonomique, sur cinq années, appelle un contrôle particulièrement rigoureux quant à la justification et à l’encadrement des opérations.
Or, au vu des éléments fournis, il apparaît que la demande ne satisfait pas pleinement aux exigences du cadre légal en matière de nécessité, d’alternative et de non-impact, et présente des risques sérieux. En conséquence, un avis défavorable est émis.
Insuffisance de justification et caractère trop générique de la demande
La demande est très large, tant du point de vue taxonomique (mammifères, oiseaux, reptiles, amphibiens, insectes, mollusques) que géographique (France métropolitaine et DOM) et temporel (cinq ans). Cette ampleur interroge sur la proportionnalité et la nécessité réelle.
Le document évoque une finalité générale d’identification et d’études scientifiques, avec pour certaines espèces un relâcher différé. Ce libellé demeure trop flou quant aux espèces concernées, aux protocoles, aux quotas et aux effets attendus.
La mention de captures définitives d’insectes à des fins d’identification soulève une inquiétude : la nécessité de prélèvements définitifs pour des espèces protégées n’est pas démontrée, alors que la connaissance des populations reste souvent insuffisante.
Le principe de nécessité impose de démontrer l’absence d’alternative non invasive, or le dossier ne justifie pas clairement pourquoi des méthodes telles que l’ADN environnemental, l’acoustique, le photo-piégeage ou l’observation ne pourraient pas être privilégiées.
La demande apparaît ainsi trop globale, sans segmentation suffisante par espèce, région, objectif ou modalité d’évaluation, ce qui limite le contrôle et augmente les risques de dérive.
Risques pour l’état de conservation et pour la crédibilité du dispositif de protection
Le Code de l’environnement prévoit que les opérations autorisées ne doivent pas nuire à l’état de conservation des populations. Si la demande s’inscrit dans ce cadre, elle ne fournit pas de garanties suffisantes concernant les effets cumulés ni de protocoles précis de suivi.
Pour de nombreuses espèces, notamment parmi les insectes et mollusques, les données de base sont lacunaires. Dans ce contexte, les captures ou prélèvements définitifs peuvent entraîner des impacts disproportionnés voire irréversibles localement.
Le signal envoyé au public est également préoccupant : autoriser largement des prélèvements d’espèces protégées affaiblit la crédibilité de la protection légale et banalise des interventions sur la faune sauvage au détriment du principe de non-perturbation.
Sur le plan éthique, la capture et la manipulation d’individus protégés doivent rester exceptionnelles. En faire une pratique courante reviendrait à inverser la logique de protection au profit d’une logique d’exploitation scientifique contraire aux engagements français pour la biodiversité.
Absence de garanties d’encadrement, de transparence et de contrôle indépendant
Le dossier ne mentionne pas de dispositifs de contrôle externe, de suivi post-relâcher, ni de publication publique des résultats.
Une dérogation de cette ampleur devrait comporter :
– des quotas clairs et différenciés par espèce, région et année
– un protocole validé par un comité scientifique indépendant
– une publication publique régulière des bilans d’impact
– un audit ou une évaluation externe de conformité
– une priorité absolue aux méthodes non invasives
En l’absence de ces garanties, l’autorisation repose sur la seule bonne foi de l’organisme requérant, ce qui n’offre pas les garanties institutionnelles nécessaires.
Incohérence avec les engagements nationaux et internationaux
La France s’est engagée, à travers la Stratégie nationale pour la biodiversité, le Plan pollinisateurs et les directives européennes Habitats et Oiseaux, à renforcer la protection des espèces et à réduire les pressions humaines.
Accorder une dérogation qui facilite la capture, voire la destruction d’individus protégés, serait contraire à ces engagements et enverrait un signal négatif dans un contexte de crise de la biodiversité.
Face à l’effondrement des populations d’insectes et à la dégradation des habitats, il est nécessaire de privilégier la limitation des perturbations plutôt que l’élargissement des prélèvements.
Propositions d’alternatives et conditions minimales en cas de réexamen
Si le Ministère envisage malgré tout d’accorder une dérogation, elle devrait être strictement conditionnée à :
1. Une segmentation précise par groupe taxonomique, région, espèce et objectif.
2. Une priorité absolue aux méthodes non invasives, avec justification claire pour chaque recours à la capture.
3. L’instauration de quotas annuels limités, assortis d’une évaluation intermédiaire de l’impact.
4. La création d’un comité scientifique et éthique indépendant associant chercheurs, ONG et institutions.
5. La publication publique des bilans de captures, relâchers et mortalités.
6. L’interdiction des captures définitives d’insectes et mollusques sauf cas exceptionnels dûment documentés.
7. Une clause de révocation automatique en cas d’impact négatif constaté ou de manquement aux obligations.
Conclusion
En l’état, la demande de l’ONF pour une dérogation couvrant plusieurs groupes d’espèces protégées sur l’ensemble du territoire et pour cinq ans, incluant des captures et prélèvements définitifs, ne répond pas aux exigences légales de nécessité, d’absence d’alternative et de non-impact sur l’état de conservation. Elle est également incompatible avec les engagements français en matière de protection de la biodiversité.
Aucune garantie crédible n’est apportée en matière de contrôle, de transparence et de limitation des effets.
En conséquence, la demande doit être refusée ou entièrement révisée pour être conforme au droit et à la protection du vivant.
Un avis défavorable est donc formulé
Les demandes de dérogations fourre-tout n’ont aucun sens et ne permettent absolument pas de vérifier les conditions obligatoires à l’obtention de dérogations espèces protégées.
Comme pour chaque acteur du domaine de l’environnement, chaque programme devra faire l’objet d’une étude et d’une demande de dérogation dédiée, comme le veut la loi.
Le personnel de l’ONF, doit être soumis à la même loi que tous.
Constats personnels d’abus total de cette dérogation, avec des captures récréatives d’espèces en déclin.
1. Déclin global des insectes
Les études scientifiques récentes (Hallmann et al., 2017 ; IPBES, 2019) montrent un déclin dramatique des populations d’insectes à l’échelle mondiale, avec des pertes de biomasse pouvant atteindre 75 % dans certaines régions. Les pressions humaines (agriculture intensive, pollution, fragmentation des habitats) sont les principales causes de cette crise écologique.
2. Implications pour les espèces protégées et non protégées
Si l’ONF demande des dérogations pour des espèces déjà protégées, cela suggère que la collecte ou la perturbation des espèces non protégées se poursuit sans contrôle ni suivi scientifique. Cette logique « laissez-faire » aggrave la pression sur la biodiversité et normalise l’exploitation de la faune, entraînant la mort ou, au mieux, la captivité à vie de ces insectes.
3. Risque cumulatif et signal pour la société
Autoriser des prélèvements sur des espèces protégées dans ce contexte envoie un message contradictoire : non seulement les espèces vulnérables sont ciblées, mais la valeur intrinsèque de la faune, même la plus discrète, est minimisée. La protection de la biodiversité exige au contraire une approche globale, qui réduise toutes les pressions, pas seulement celles sur les espèces réglementées.
- Conclusion :
Au vu de la situation générale des insectes et des risques indirects sur l’ensemble de la faune, cet avis reste défavorable à toute dérogation permettant la capture, la manipulation ou la mise en captivité d’espèces protégées ou sensibles.
Ce nouvel avis, complémentaire à ma première contribution et également défavorable à la dérogation sollicitée par l’ONF, met en lumière deux aspects majeurs révélant une dérive du modèle actuel de gestion des forêts publiques :
10 a – Coupes rases et incohérence avec les objectifs de protection
Les expertises scientifiques (INRAE–GIP Ecofor, 2023) confirment que les coupes rases fragilisent durablement les sols, détruisent les habitats, appauvrissent la biodiversité et compromettent la régénération naturelle des forêts.
Pourtant, l’ONF continue de promouvoir et de pratiquer ces méthodes à grande échelle, notamment dans les forêts de production.
Ces pratiques, dénoncées par de nombreux chercheurs, associations naturalistes et même par le Conseil scientifique de l’ONF, provoquent une perte dramatique de biodiversité : disparition d’espèces saproxyliques, effondrement des réseaux trophiques, raréfaction des pollinisateurs et altération du microclimat forestier.
Elles contredisent directement les engagements de la France au titre de la Stratégie nationale pour la biodiversité et du Plan national en faveur des pollinisateurs.
L’argument du « renouvellement forestier » ou de la « santé des peuplements » ne repose sur aucune base scientifique solide : les forêts irrégulières, à couvert continu et à forte diversité d’essences, sont plus résilientes face au changement climatique et aux pathogènes que celles issues de la sylviculture intensive.
Une politique publique cohérente devrait privilégier la régénération naturelle, la diversification des essences et la limitation stricte des coupes rases.
Leur maintien massif, souvent sans suivi écologique transparent, fragilise la crédibilité de l’ONF lorsqu’elle prétend agir pour la protection de la faune et de la biodiversité.
Les forêts publiques devraient être exemplaires en matière de respect du vivant, non le terrain d’expérimentations productivistes.
10 b – Exploitation de la faune et dérive du modèle de gestion
Parallèlement, l’ONF autorise et organise dans les forêts publiques des activités cynégétiques intensives, y compris la vénerie (chasse à courre), sous couvert de « régulation » ou d’« équilibre forêt-gibier ».
Ces pratiques, contraires aux principes de protection de la faune sauvage, reposent sur une vision obsolète des écosystèmes, où la faune est considérée comme un facteur de déséquilibre à éliminer.
Les déséquilibres invoqués résultent pourtant de la simplification des habitats, des plantations monospécifiques et de la pression humaine.
Faire porter la responsabilité de ces dysfonctionnements aux animaux revient à inverser les causes et les effets, justifiant des abattages massifs qui aggravent encore la rupture des équilibres naturels.
Des rapports (EFI 2023 ; Le Monde, 2025) signalent que malgré ces politiques d’abattage, la régénération forestière reste compromise sur plus de 60 % des surfaces concernées : la « régulation » n’atteint donc même pas ses objectifs affichés.
En outre, le maintien de la chasse de loisir, et en particulier de la vénerie, dans les forêts gérées par un établissement public soulève une question éthique majeure : comment concilier la mission de conservation du patrimoine naturel avec l’organisation d’activités provoquant souffrance et mort d’animaux pour le divertissement ?
Ces contradictions structurelles illustrent la dérive du modèle actuel, qui subordonne la protection du vivant à des logiques économiques et cynégétiques.
Il devient urgent de réorienter les missions de l’ONF vers une approche véritablement écologique, fondée sur la restauration des milieux, la cohabitation pacifique avec la faune sauvage et le respect intégral du vivant.
Avis toujours défavorable
La dérogation proposée accorde à l’ONF une autorisation trop large et insuffisamment encadrée pour capturer des espèces protégées, y compris des captures définitives d’insectes, sur des justifications vagues.
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1. Ambiguïté légale et procédurale (« captures définitives »)
Le terme « captures définitives à des fins d’identification » est imprécis et extensible.
• La justification « à des fins d’identification » peut couvrir tout, depuis la recherche taxonomique légitime jusqu’à des prélèvements redondants ou de routine.
• Sans quotas explicites ni protocoles, ce libellé ouvre la porte à des prélèvements excessifs ou inutiles, en particulier d’insectes.
• Comme la dérogation s’applique à l’échelle nationale (2026–2030) et concerne potentiellement des milliers de sites, le risque de dépassement ou d’usage abusif n’est pas théorique : il est systémique.
• Selon le Code de l’environnement (article L. 411-2), les dérogations doivent être « strictement nécessaires », et non simplement potentiellement utiles. Cette dérogation ne répond pas à ce seuil légal.
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2. Absence de contrôles et de vérification indépendants
Le dispositif repose entièrement sur l’auto-déclaration et l’éthique interne de l’ONF, sans audit externe ni contrôle citoyen.
Aucun mécanisme indépendant ne permet de vérifier :
• si toutes les espèces non-insectes sont relâchées immédiatement et en bon état ;
• si les captures provoquent stress, blessures ou mortalité différée, bien documentés chez les oiseaux et petits mammifères ;
• si les collectes d’insectes restent strictement limitées aux cas scientifiquement justifiés.
L’expérience passée montre que le suivi post-prélèvement est rarement documenté et que les spécimens restent souvent dans des collections privées ou institutionnelles sans transparence publique.
Il est impossible de garantir que la collecte d’insectes protégés « ne porte pas atteinte à leur statut de conservation », les données de base étant insuffisantes et la rareté variant fortement selon les régions.
La suppression d’un seul individu dans une zone où une espèce est localement rare peut avoir des effets irréversibles.
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3. Contradiction éthique avec la protection de l’environnement
Cette proposition va à l’encontre de l’esprit des législations françaises et européennes :
• principe de précaution (Charte de l’Environnement, art. 5) ;
• principe de non-régression (Code de l’Environnement, L.110-1) ;
• directives Habitats et Oiseaux de l’UE, qui n’autorisent les dérogations
que lorsqu’aucune alternative satisfaisante n’existe et sous contrôle strict.
Aujourd’hui, des méthodes non invasives (photographie haute définition, eDNA, acoustique) permettent la plupart des identifications sans capture. Le stress et la souffrance des vertébrés capturés sont bien documentés, notamment chez les oiseaux. Cette dérogation va à l’encontre de l’éthique contemporaine de conservation, qui privilégie l’interférence minimale et le respect des êtres vivants.
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4. Risque de dérive et d’abus institutionnel
Une dérogation large et vague tend à s’étendre progressivement en durée et en périmètre, avec un suivi limité.
La condition « ne pas nuire au statut de conservation des populations » est trop floue pour empêcher un impact cumulatif, surtout chez les insectes dont les données de population sont souvent lacunaires.
Cette autorisation affaiblit la confiance publique et diminue la crédibilité des mesures de protection.
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5. Approche alternative et précautionnaire
Même si une approche plus encadrée pouvait être envisagée, il faut rappeler qu’une telle dérogation constitue en soi une atteinte à la faune protégée.
Les captures, manipulations et prélèvements d’individus vivants — surtout lorsqu’ils appartiennent à des espèces protégées — ne peuvent être justifiés qu’en cas de nécessité absolue et démontrée, et non au titre de la commodité, de la routine scientifique ou du simple « suivi de terrain ».
Les dispositifs de contrôle souvent évoqués — autorisations limitées, supervision scientifique, communication des résultats — ne sauraient en aucun cas légitimer une pratique qui, par essence, viole le principe de non-atteinte.
S’ils étaient malgré tout envisagés, ils ne devraient servir qu’à réduire les dommages, non à les rendre acceptables :
• transparence totale sur les opérations de capture et publication publique des résultats ;
• contrôle externe indépendant par un comité scientifique et éthique comprenant ONG et experts académiques ;
• priorité absolue aux méthodes non invasives (photographie, eDNA, acoustique) ;
• interdiction stricte des captures définitives d’insectes protégés, sans exception.
Sans exception, la dérogation doit exclure toute capture définitive d’insectes protégés, afin d’éviter que des justifications scientifiques ou administratives ne soient utilisées pour transformer cette exception en pratique courante. Cette approche est indispensable pour garantir que la perturbation de la faune ne devienne pas une norme et pour protéger l’intégrité des espèces sur le long terme.
Par ailleurs, ces atteintes à la faune protégée, lorsqu’elles sont autorisées par dérogation, ne donnent lieu à aucune sanction ni responsabilité institutionnelle en cas d’erreur, de mortalité excessive ou de non-respect des engagements.
Ce déséquilibre fragilise la crédibilité du dispositif juridique de protection et crée une inégalité de traitement entre les citoyens — passibles d’amendes pour des atteintes mineures — et les organismes publics pouvant causer des dommages irréversibles sans conséquence.
La véritable connaissance scientifique de la nature ne se mesure pas au nombre de spécimens prélevés, mais à la capacité d’observer sans détruire.
Respecter la faune, qu’elle soit grande ou minuscule, c’est choisir l’étude non intrusive et l’observation patiente — non la capture.
En tout état de cause, même strictement encadrée, une telle dérogation normaliserait la perturbation et la destruction d’individus appartenant à la faune protégée.
Elle contrevient ainsi à l’esprit du Code de l’environnement et au principe de non-atteinte, qui impose de rechercher en priorité des solutions d’étude non destructives et respectueuses du vivant.
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6. Contradiction institutionnelle et conflit de missions
L’ONF, établissement public industriel et commercial, a pour mission principale la gestion économique des forêts publiques.
La surveillance de la biodiversité, bien que mentionnée, reste subordonnée aux objectifs économiques et de production.
Accorder à cet organisme une dérogation large pour capturer des espèces protégées crée un conflit d’intérêts : l’entité responsable de l’exploitation forestière ne peut être juge impartial des interférences sur la faune.
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7. Illustrations concrètes de risques et d’impacts
L’expérience passée et les données disponibles montrent que les risques évoqués ne sont pas théoriques :
• Captures passées d’insectes rares : ONF 2016–2025, programmes régionaux, ont concerné des papillons protégés (ex. Erebia medusa dans le Massif central) sans protocoles stricts. La rareté locale rend chaque prélèvement critique.
• Impact sur oiseaux et petits mammifères : études de capture à des fins de baguage indiquent jusqu’à 5–10 % de blessures ou mortalité différée (myopathie de capture, stress prolongé, perte de plumes, affaiblissement immunitaire).
• Absence de suivi post-prélèvement : la majorité des spécimens collectés, notamment insectes et invertébrés, ont été conservés dans des collections privées ou institutionnelles sans publication ni évaluation des impacts locaux.
• Données insuffisantes pour la plupart des insectes protégés : les effectifs et répartitions locales sont mal connus. La capture de quelques individus peut entraîner une diminution significative, voire irréversible, des populations locales.
Ces exemples confirment que la dérogation envisagée présente des risques tangibles pour la faune protégée, en particulier les insectes.
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8. Cohérence avec les politiques publiques de biodiversité
La France s’est engagée, à travers la Stratégie nationale pour la biodiversité et le Plan pollinisateurs, à renforcer la protection des espèces et à réduire les pressions humaines sur les milieux naturels.
Accorder une dérogation de cette ampleur irait à rebours de ces engagements, donnant un signal contradictoire à la société civile et aux acteurs de la recherche.
Une politique publique cohérente devrait au contraire encourager le recours à des méthodes d’observation non destructives et à la diffusion ouverte des données issues de ces observations.
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9. Enjeux éthiques et symboliques
Cette dérogation ne menace pas seulement des individus ; elle banalise une vision utilitariste de la nature où l’on s’autorise à capturer, manipuler ou tuer des êtres vivants au nom d’une curiosité scientifique ou d’un confort administratif.
Plus les espèces sont petites, discrètes ou impopulaires — insectes, arachnides, microfaune — plus leur souffrance ou disparition semble acceptable.
Or, la valeur écologique de ces espèces est souvent cruciale : pollinisation, recyclage de la matière organique, régulation des écosystèmes.
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10. Principe de respect du vivant et égalité de considération
Le respect du vivant ne se hiérarchise pas : il s’applique à tous les êtres, du plus grand au plus minuscule.
Autoriser la destruction légale de ces vies au nom de la connaissance revient à répéter les dérives d’une époque où la science s’arrogeait le droit de dominer plutôt que de comprendre.
- Conclusion
La dérogation proposée présente des risques graves d’abus et de dérive institutionnelle. Elle affaiblit la protection effective des espèces et contredit les principes fondamentaux de précaution, de non-régression et de respect du vivant.
Un avis défavorable à son adoption s’impose.
Voila en quoi ça consiste :
https://www.arte.tv/fr/videos/116882-000-A/mondes-sauvages/
tout cela sert au final à protéger les espèces et les parcelles grâce à l’étude de leur biologie et habitats. Pour mieux protéger, il faut connaitre.